En quelques mots (pour les gens pressés)
À la suite de la publication par The Lancet d'une étude qui conclut à des risques liés à l'utilisation de l'hydroxychloroquine ou la chloroquine dans le traitement du covid-19, l'Organisation mondiale de la santé a suspendu la recherche internationale qu'elle dirigeait sur l'utilisation de la chloroquine.
Quelques jours après, plus de 180 chercheurs et scientifiques ont mis en doute la validité de cette étude, notamment sur le plan méthodologique. Ceci montre à mon avis deux choses :
- le poids de l'industrie pharmaceutique qui verrait la chloroquine comme un obstacle à la réalisation d'énormes profits,
- les défis auxquels font face les pays dits en developpement qui aspirent à plus d'autonomie, des défis qui appellent à une réponse appropriée.
Allons plus loin (pour ceux qui le veulent bien)
1. Qu'est-ce que c'est que cette étude exactement?
Dans cette étude, des chercheurs ont voulu connaître l'effet de l'hydroxychloroquine et la chloroquine, utilisées avec ou sans antibiotique macrolide dans le traitement du covid-19.
Pour cela ils ont analysé les données concernant plus de 96 000 patients hospitalisés entre décembre 2019 et avril 2020 suite à une infection confirmée du nouveau coronavirus, et provenant de 671 hôpitaux répartis sur six continents.
2. Quels sont les résultats de l'étude?
L'étude suggère que l'utilisation de la chloroquine et l'hydroxychloroquine, utilisées seules ou avec des antibiotiques, n'apporte pas d'amélioration à la condition des patients et peut au contraire l'aggraver par des risques cardiaques.
2. Qui a fait l'étude?
Prof Mandeep R. Mehra, auteur principal de l'étude et Executive Director du Brigham and Women's Hospital Center for Advanced Heart Disease, Boston, USA.
Prof Frank Ruschitzka: MD, directeur du Heart Center, University Hospital, Zürich
Dr. Sapan S. Desai, President and Chief Executive Officer (CEO) of Surgical Outcomes Collaborative (Surgisphere).
Dr Amit N Patel MD, BS, MS, chirurgien cardiaque, a été chercheur et professeur de chirurgie - cardiothoracique a l'Universite de l'Utah.
3. Réaction de l'OMS: suite à la publication de cette étude, l'Organisation mondiale de la santé annonce le 25 mai qu'elle décide de suspendre temporairement l’étude de l’hydroxychloroquine dans le cadre de l’essai Solidarity quelle dirige.
4. Réaction de milieux scientifiques
La première à ce jour, a été une lettre signée par plus de 180 chercheurs qui émettent des doutes sur la validité de l'étude, sur le plan méthodologique. (1) (2)
5. Que peut-on penser de cette étude?
En 1er lieu il faut d'abord noter qu'il s'agit d'une étude observationnelle, c'est-à-dire que les chercheurs ont comparé des situations de facteurs de risque et leurs rapports avec l'évolution de la maladie chez les patients. Ils ont effectivement remarqué une corrélation mais rien n'indique l'existence d'un rapport de cause à effet. Pour cela il faudrait d'autres recherches plus poussées.
En 2e lieu, aujourd'hui à l'heure où l'information est partout, on peut s'étonner que quelques chercheurs aient pu avoir accès à une base une base de données de cette importance sans que personne le sache.
En 3e lieu, cette étude s'est basée sur des données provenant de 671 hôpitaux répartis sur 6 continents et concernant plus de 90 000 patients. Quand on sait qu'une institution mondiale telle que l'organisation mondiale de la santé mène une étude qui avait pour objet de réunir des données sur 17 000 patients, on ne peut s'empêcher de s'étonner d'une pareille disproportion!
En 4e lieu, l'étude a été publiée le 22 mai est la réaction de l'OMS a eu lieu le 25 mai, soit 3 jours après! Quand on connaît la lenteur avec laquelle les organisations mondiales prennent leurs décisions il y a de quoi s'étonner. (On aurait souhaité, par exemple que l'ONU fasse preuve de la même diligence pour restaurer le droit du peuple palestinien a avoir un pays, droit bafoué depuis plus de 70 ans!)
En 5e lieu, on ne sait pas comment l'échantillon ayant servi à l'étude a été établi. Est-il réellement représentatif? Les pays et les hôpitaux ne sont pas listés. Des incompréhensions entourent certaines données.
En dernière analyse, il n'est pas interdit de penser que les grands groupes de l'industrie pharmaceutique sont derrière ces manœuvres - surtout lorsqu'on comprend que la chloroquine, qui est connue depuis 70 ans et ne coûte pas cher, représente un obstacle à la réalisation de très gros profits - et qu'ils n'hésiteraient donc pas à utiliser des moyens de plus en plus sophistiqués pour parvenir à leurs fins, même au prix de la souffrance humaine.
7. Quelle est la place de l'Afrique dans tout cela?
Ce sont 3 américains et 1 européen qui ont fait l'étude. Sur les 180 signataires et plus de la lettre qui ont émis des doutes sur l'étude, 17 proviennent d'institutions situées en Afrique.
Sur le plan pratique, on sait que plusieurs pays africains avaient décidé des essais cliniques ou autorisé l'utilisation de la chloroquine, parmi lesquels le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, le Nigéria, l'Afrique du Sud, le Sénégal, le Tchad, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Cameroun, le Gabon, leTogo, Madagascar, la RDC, le Sierra Leone, etc...
Suite à la publication de cette étude, alors que le Royaume-Uni et la France ont décidé de suspendre les essais, des pays africains qui utilisent la chloroquine - tels le Maroc, l'Algérie, le Nigéria, le Sénégal, le Chad - ont déclaré continuer son utilisation.
8. En définitive, ces événements soulèvent des questions cruciales en ces temps de Covid-19, à l'heure où les pays africains, en raison de la faiblesse des systèmes de santé, mettent beaucoup d'espoir sur la chloroquine. Le vrai problème concerne la position des décideurs face à un défi de taille qui met en péril la vie de millions de gens. Les pouvoirs publics réalisent bien qu'il est nécessaire de relever ce défi, mais en ont-ils les moyens? Il me semble que la voie est double:
- dans l'immédiat: faire en sorte que des produits jugés nécessaires soient rendus disponibles. C'est le cas de la chloroquine, qui est l’un des médicaments les plus connus en Afrique même si essentiellement importé, à l’instar de nombreux produits de première nécessité. Bien entendu la situation varie d'un pays à l'autre.
- à moyen et long terme, et pour pouvoir prendre les décisions vitales sur toutes sortes de questions, la voie sûre consiste à bâtir des économies industrielles solides, donnant une large part à la recherche scientifique, seule capable de garantir une vraie autonomie, qui est la véritable indépendance.
Benyounès
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(1) The Scientist "Disputed Hydroxychloroquine Study Brings Scrutiny to Surgisphere"
https://www.google.com/amp/s/www.the-scientist.com/news-opinion/disputed-hydroxychloroquine-study-brings-scrutiny-to-surgisphere-67595/amp.
(2) The guardian "Covid-19 study on hydroxychloroquine use questioned by 120 researchers and medical professionals"
https://www.theguardian.com/world/2020/may/29/covid-19-surgisphere-hydroxychloroquine-study-lancet-coronavirus-who-questioned-by-researchers-medical-professional
RépondreSupprimerEn tout cas Trump prend de la Chloroquine, par précaution, depuis pas mal de temps!
Pas si bête l'américain ;)
C'est vrai, pour une fois!
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